Sport et société

SPORT ET SOCIETE NEO-LIBERALE

Dernière mise à jour : 15 mai 2023Par Catégories : Débats

Introduction

Divertissement aristocratique à l’origine, le sport a connu, depuis le début du 20è siècle, un essor prodigieux qui restera l’un des événements sociaux marquants de notre époque. Sa pratique s’est largement démocratisée et concerne tous les secteurs de la population. Simultanément son caractère international s’est sans cesse affirmé avec plus de force : il est peu d’activités humaines dont l’expansion ait une telle ampleur. On peut parler de « fait social total » (M.Mauss)

Aujourd’hui, dans les médias, on parle de sport à tout bout de champ : résultats sportifs, grands événements (JO 2021, Coupe du Monde 2022, JO Paris 2024), mise en cause de grands dirigeants, sportswear, pour votre santé faites du sport, sport en chambre…Reconnaissons qu’il n’y a apparemment pas grand chose de commun entre un athlète qui se prépare pour la finale des JO, un retraité qui fait ses 10 000 pas quotidiens ou un couple qui fait l’amour.

D’où la nécessité de bien définir la notion de sport, de préciser de quoi on parle car il y a toujours une grande confusion entre sport et activités physiques. Les médias, par ignorance et/ou paresse intellectuelle y contribuent largement.

Si tout sport est activité physique l’inverse n’est pas vrai !

Définition de la notion de sport

Je l’emprunterai à Pierre Parlebas, sociologue du sport (Eléments de sociologie du sport , 1986) : le sport est « l’ensemble fini et dénombrable des situations motrices codifiées sous forme de compétition et institutionnalisées ».

Pour classer les sports l’auteur retient 3 critères qui caractérisent chacun une forme d’interaction :

  • présence ou absence d’adversaires

  • présence ou absence de partenaires

  • présence ou absence d’une incertitude liée au milieu

La combinaison de ces 3 critères conduisant à 8 catégories.

Je reprendrai les termes de la définition pour préciser ce qui est du sport et ce qui ne l’est pas.

Situations motrices:condition minimale, s’il n’y a pas d’action motrice on ne peut pas parler de sport ( les échecs ne sont pas un sport, e-sport). A l’inverse toute action motrice ne donne pas le titre de sport, il faut tenir compte des 2 autres termes de la définition.

Codifiées sous forme de compétition:il doit y avoir affrontement avec des règles précises. (duel/escrime, pugilat/boxe, égalité des chances, catégories de poids…). Présence d’arbitres qui sont le garant du respect des règles. (footing/course, marche nordique/marche 50km)

Institutionnalisées : contrôle de fédérations nationales et internationales qui font que quel que soit l’endroit de la planète les modalités sont identiques, ce sont elles qui définissent les règles, les modifient éventuellement, elles en sont le garant. (jeu sportif/sport).

On distinguera bien les pratiques physiques sportives et non sportives.(artistiques,de la forme, de plein air…)

Poids des pratiques sportives (France)

Pratiquants

  • Nombre de licencié-es : INSEE 2018 – 16,4 millions + 2 millions autres participations

38% femmes.

2020 : 15,7 2021: 13 conséquences du Covid.

  • – 20 ans représentent la plus grande part des licences sportives

40% – 15 ans 18% + 50 ans

  • 1 association sur 4 est à caractère sportif

  • fédérations les plus importantes en licencié-es : Foot 2 130 000, Tennis 1 070 000, UNSS 1 000 000, Equitation 692 000, Basket 680 000, Judo 460 000, Hand 456 000, Golf 442 000, Natation 380 000, Canoé 316 000, Rugby 300 000, Athlétisme 300 000.

  • fédérations les plus masculines en nombre: Foot 92%, Tennis, Judo ;

  • fédérations les plus féminines en nombre : Equitation, Tennis, Gymnastique.

  • Pratiques physiques : 66% des 15 ans et + ont pratiqué au moins 1 fois dans l’année. 38% des pratiquants sont à 4 fois/semaine.

Activités les plus pratiquées : course, marche, activités de la forme, gymnastique, natation, vélo.

Economie

  • En 2020 les administrations ont dépensés 13,8 milliards en faveur du sport (½ état) soit 0,6 point de PIB

  • Les ménages : 0,8 point de PIB

  • 90,8 milliards total du budget des associations + CA des entreprises du secteur (112 000) – 448 000 emplois. Ces chiffres ne prennent pas en compte l’investissement des collectivités, les droits TV, le sponsoring !

80% des entreprises représentent 3,5% du CA, 200 grosses sociétés 50% du CA.

Sport et société néo-libérale

Le sport est un marché

– Les pratiquants des activités physiques sont des consommateurs et représentent un marché.

Le marché des articles de sport était de 500 milliards de $ au niveau mondial en 2019 , 8 milliards en France pour 4000 enseignes.

La chaussure de sport représente aujourd’hui 47% du marché de la chaussure.

  • Les consommateurs de spectacles sportifs par écrans interposés sont également une cible. De très nombreux sports accessibles gratuitement sur les chaines publiques jusqu’aux années 80 sont maintenant payants : F1 sur Canal, Foot sur Canal ou Bein, Prime vidéo, Orange…il y a des parts de marché à conquérir !

  • Exemple des billets mis en vente pour les JO 2024 à Paris : des jeux qui veulent être populaires mais au bout de quelques jours (ou heures) il fallait mettre en 50 et 690 € pour obtenir une place.

Les grands événements

  • Avec des milliards de spectateurs par écran interposés à travers le monde entier, le marché des droits TV et de la publicité a envahi les grands événements : JO d’été et d’hiver qui ont été décalés, Coupe du monde de football avec de plus en plus d’équipes… Au plus grand profit du CIO, de la FIFA et de leurs dirigeants.

Le choix d’Atlanta pour les JO de 1996, siège de Coca cola, ou de Eugene, siège de Nike, pour les derniers championnats du monde d’athlétisme n’est pas un hasard.

  • JO ouverts aux sportifs professionnels alors qu’à leur renaissance à l’initiative du Baron P.de Coubertin seuls les sportifs amateurs étaient autorisés à y participer.

L’amateurisme est défendu à coups d’excommunications : Paavo Nurmi, tennis supprimé du programme de 1928 à 1988…

  • Vient le temps des « amateurs marrons » rémunérés en cachette, puis l’entrée, après la 2nde guerre mondiale des pays communistes et des « amateurs fonctionnaires ».

En 1980 suppression dans la Charte olympique de toute référence à l’amateurisme : si les JO doivent devenir le plus grand événement sportif mondial n’est-il pas logique, et surtout économiquement vital, que les meilleurs y soient présents.

Les professionnels sont admis par étapes : footballeurs en 1984, tennismen en 1988, les multimillionnaires du sport business avec la Dream Team en 1992… Le dernier bastion est tombé en 2016 à Rio où le tournoi de boxe est ouvert aux professionnels.

Cela suit exactement l’évolution du libéralisme économique qui dirige nos sociétés depuis les années 80.

Sport et politique

Pour la bonne marche des affaires il faut absolument que sport et politique n’interfèrent pas ou feindre de croire en cette fable.

  • Quelques exemples : pas de grands événements pendant les 2 guerres mondiales, JO de 1936 à Berlin, attentats aux JO de Munich en 1972, boycot américain des JO de Moscou en 1980 suite à l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, boycot des JO de 1984 à Los Angeles par les pays soviétiques en rétorsion au boycot de 1980, répression des manifestations étudiantes au Mexique avant les JO de 1968… et athlètes noirs américains sur le podium gantés de noir.

  • L’attribution des grands événements suit également une logique politique.

Si l’attribution de la Coupe du monde de rugby en 1995 à l’Afrique du Sud est là pour marquer la réintégration de ce pays après des décennies d’apartheid, pour les autres grands évènements cela répond à une logique politique , en faisant croire que les attribuer à des pays totalitaires peut les faire évoluer vers plus de démocratie:

JO à Pékin d’été en 2008 et d »hiver »(!!!) en 2022, à Sotchi, résidence balnéaire de Poutine, pour les JO 2014, avec quels résultats pour les droits de ces peuples ?

Les tentatives de boycot à l’initiative de la société civile ont toujours échoué : Coupe du monde de Foot en 1978 en Argentine (dictature militaire), en 2022 au Qatar (non respect des droits de l’homme).

  • L’utilisation des grands événements médiatisés à des fins politiques pour démontrer la supériorité d’un système politique : lutte pour les médailles entre les USA, l’URSS et un tout petit pays la RDA.

le dopage d’état (RDA, URSS) jusqu’à la Russie de Poutine pour obtenir des médailles et montrer la supériorité d’un système.

De Gaulle, après le fiasco des JO de Rome (1960), pas une seule médaille d’or, engage une politique sportive volontariste : « si la France brille à l’étranger par ses penseurs, ses savants, ses artistes, elle doit aussi rayonner par ses sportifs. Un pays doit être grand par la qualité de sa jeunesse et on ne saurait concevoir cette jeunesse sans un idéal sportif ». D’où la mise en place d’une politique sportive d’envergure : sport à l’école, programme de construction d’intallations sportives (1000 piscines), développement des fédérations …(113 agrées en 2023)

Sport et néo-libéralisme

Le développement du sport, pratique individuelle, du sport professionnel, des spectacles sportifs a amené des investissements colossaux avec la recherche de profits encore plus colossaux et entraîne des dérives que j’illustrerai:

  • à l’image des Etats Unis où les clubs de basket de la NBA sont des franchises appartenant à des milliardaires ou des sociétés financières, de plus en plus de clubs de foot et/ou de rugby en France sont dans ce cas : PSG/Qatar, Montpellier/Altrad…Certains clubs sont mêmes cotés en bourse, les cessions/ventes se succèdent comme dans le monde des affaires.

  • Le naming se développe : Orange vélodrome à Marseille, Accor Arena à Paris, Allianz riviera à Nice…

Montpellier n’est pas en reste : Stade de rugby Y.du Manoir/GGL stadium, Palais des sports R.Bougnol/FDI stadium, Piscine olympique/Angelotti… que des promoteurs immobiliers qui se partagent les opérations immobilières les plus importantes de la métropole… on n’est pas loin du conflit d’intérêts.

  • Le lobbying et la corruption s’accroissent, en particulier auprès des dirigeants appelés à voter pour le choix des pays organisateurs des grands événements : nombre de membres de la FIFA, du CIO ont été condamnés et radiés.

L’affaire OM/VA reste dans toutes les mémoires avec un sac de billets enterré dans un jardin !

  • Le dopage est une conséquence de l’argent qui circule : l’appât du gain est le moteur.( L.Armstrong, cyclisme)

Récemment les athlètes kényans pouvaient gagner sur une course (marathon, semi- marathon) plus que plusieurs années de salaire moyen au Kenya.

  • Les Paris sportifs se sont développés avec internet et depuis la fin du monopole de PMU et de la Française des jeux en 2010. (20 à 25% de l’offre du secteur). +22% de CA en 2020 grâce au confinement. 5,3 milliards € le montant des mises en 2020, 4,4 millions de joueurs.

Les enjeux financiers amènent des mafias qui organisent des matchs truqués (Handball Montpellier, tennis).

Après ce tour d’horizon tout est-il pourri dans le monde sportif ?

Quelques lueurs d’espoir.

Sport et Santé

La santé a toujours été une préoccupation, mais avec une part + ou – relative, et avec des objectifs différents selon les époques.

De faire des hommes en bonne santé pour être des soldats efficaces après la défaite de 1870, en passant par la lutte contre la malnutrition et la tuberculose au début du 20ème siècle, la préoccupation santé a peu à peu déclinée pendant les 30 glorieuses pour revenir sur le devant de la scène aujourd’hui.

En effet en 2023 1 français sur 2 est en surpoids, l’obésité touche 17% de la population.

Les études montrent que les enfants entre 4 et 12 ans en surpoids vont tous avoir un accident cardiovasculaire avant 40 ans !

La pratique des activités physiques est donc un enjeu de santé publique majeur : certaines mutuelles prennent d’ailleurs en charge les inscriptions dans des clubs et/ou les licences .

Le temps passé devant les écrans de toute sorte accentue la sédentarité : 3 enfants sur 5 entrant en 6è ne sont pas capables d’enchaîner 4 cloche-pied ! Après l’illétrisme, l’illectronisme, on voit apparaître des analphabètes corporels ou moteurs.

Conclusion

Le sport n’échappe pas à l’évolution de la société dans laquelle il évolue : la mondialisation néo libérale.

En mettant en avant la réussite individuelle de quelques uns (ceux qui échouent sont responsables de leur échec), la concurrence libre et non faussée (quoique avec le dopage…) le sport prépare même les individus à cette société néo libérale.

La pratique d’activités physiques, autonome ou en groupe, en dehors du secteur marchand, près de chez soi, est heureusement toujours possible à condition d’avoir des individus éduqués, aptes à choisir la façon de gérer leur bien-être, leur épanouissement, voire le dépassement de leurs limites en toute liberté.

Bougez-vous, à chaque manifestation vous faites vos 10 000 pas !

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